Expositions

Phot’Aubrac 2022, entre Ciel et Terre

Imaginez l’Aubrac, son horizon infini, ses plateaux langoureux, ses couleurs chaudes d’un début d’automne, apaisant n’importe quelle tristesse de fin de vacances. Imaginez à présent que ce détour dans l’ouest lozérien vous emmène beaucoup plus loin… au gré d’une cinquantaine d’expositions photographiques. Caressez du bout des yeux le pelage des ours polaires ou les écorces d’arbres centenaires. Rendez un sourire à celui que vous offrent les enfants éthiopiens, coiffés de plantes tropicales. Inde, Afghanistan. Découvrez d’autres rêves déchus, cachés derrière des prisons de charbon ou de tissu. Un village plus loin, dans une étable lozérienne, envolez-vous pour Mars ! Phot’Aubrac fête ses vingt ans, et le cadeau était pour nous.

Bouquincan

« Mélanger la population, dénoncer sans être moralisateur et partager ce qu’on vit dans un cadre convivial » tel est l’objectif de Jean-Pierre Montiel.

Ce qui était un charmant petit festival de photographie il y a quelques années, avec seulement cinq ou six expositions, est devenu un événement international sur la nature, animalière et humaine. Jean-Pierre Montiel, président de Phot’Aubrac depuis 10 ans, a reçu presque 200 demandes d’exposants pour cette édition. Le comité de réception en a retenu 40. « On évite les machines à faire des photos », me confie Jean-Pierre. La photographie, ça prend du temps.

On peut s’en rendre compte en discutant avec Hans Silvester, créateur de sublimes portraits d’enfants éthiopiens, tout sourire, se parant de plantes sauvages pour se protéger du soleil. « Je suis allé 39 fois là-bas. Ils vivent dans un autre monde. Jusqu’en 2002, ils n’avaient pas connaissance de l’argent. Ni de leur propre visage. ». Cédric Pollet aussi a mis des années à monter son projet photographique, explorant le monde à la recherche des écorces d’arbres et des graines les plus remarquables. Si tous les artistes présents tiennent à parler de la réalité environnementale, la plupart se rejoignent dans leur approche. Hans confie qu’il « souhaite proposer une exposition qui fait du bien, pleine de beauté et de poésie », mais remplie de sens. « La terre devient trop petite pour les gens qui vivent autrement ».

Ce message nous fait d’autant plus apprécier le soleil et l’air pur de l’Aubrac, autour de cette ferme de Bouquincan, près de laquelle j’ai pu discuter avec les exposants. « L’atout de ce festival, c’est que les photographes restent près de leur exposition pour rencontrer les visiteurs » m’explique Hans. Des rencontres qui se font dans plusieurs villages de la Lozère, l’Aveyron et le Cantal. 

Hans Silvester

« Nous ne serions pas là sans les agriculteurs, le festival leur appartient. » Jean-Pierre Montiel

Une vingtaine d’agriculteurs aubracois ont mis à disposition leurs fermes, granges ou étables, proposant des espaces atypiques aux visiteurs. A Montgros, Réza, photographe iranien, présente son reportage réalisé en Afghanistan. Proche du commandant Massoud, c’est le dernier à l’avoir photographié. Le portrait est exposé à l’entrée de l’étable du village. Réza est venu à Phot’Aubrac avec cinq photographes afghans (trois femmes et deux hommes) ayant immortalisé leur quotidien depuis que les talibans ont pris le pouvoir. Les photos s’alignent fièrement, comme des paroles muettes dénuées de victimisation mais lourdes de sens. Fatimah Hossaini, par exemple, interroge sur la place de la femme, son émancipation et sa liberté, en célébrant leur beauté et la diversité ethnique de son pays.

« La terre devient trop petite pour les gens qui vivent autrement. » Hans Silvester

Les photos de Valérie Leonard résonnent également comme un cri d’alarme. Sur le parvis de l’église de Nasbinals, les habitants de la vallée de Damodar, au nord-est de l’Inde, plantent leur regard dans le nôtre, le visage noir de charbon. Depuis un siècle, les mines à ciel ouvert ont remplacé les forêts et l’extraction de ce minerai détruit tout sur son passage. Nos cœurs se serrent face au silence, mais encore une fois, la photographe sait faire ressortir la beauté de l’être humain.

« La photographie reflète la personnalité du photographe. Je n’aime pas la violence, mais la douceur et la quiétude, ça oui. » Kyriakos Kaziras

Kyriakos Kaziras, quant à lui, fait ressortir la beauté animale. Après avoir proposé une superbe exposition sur les éléphants l’an dernier, il met aujourd’hui à l’honneur les ours polaires. Depuis 2007, il s’échappe régulièrement au Canada, en Alaska ou proche de l’océan Arctique pour s’imprégner de ce paradis, qu’on voudrait blanc pour toujours. Comme un scénariste, story-board en tête, il cherche à obtenir la photo. Les doux regards de ses ours, prenant la pose en noir et blanc, ornent l’entrée de Nasbinals ainsi que deux salles de l’office de tourisme.

« PHOT’Aubrac est le festival le plus authentique de tous les festivals photo français ! » Hans Silvester

Le village de Nasbinals est l’épicentre de Phot’Aubrac. Les granges sont emménagées en salles d’expositions, les ruelles parsemées de clichés sélectionnés pour l’occasion. En contre-haut de la petite ville, un chapiteau permet de recevoir des conférenciers. La « Rosée du matin » est le lieu de rendez-vous idéal pour se retrouver au cœur de soirées festives. Des randonnées au départ de Nasbinals sont proposées tout au long du festival. D’où qu’on vienne, Phot’Aubrac nous offre une réelle découverte de ces hautes terres du Massif Central. Mais aussi… de terres inconnues ! Cette année, Jean-Pierre Montiel a monté un partenariat avec la Cité de l’Espace, permettant d’exposer des images exclusives fournies par la NASA, et d’organiser des rencontres avec Jean-Jacques Favier (astronaute) et Sylvestre Maurice (astrophysicien).

Si les agriculteurs et locaux ont mis de somptueux espaces à disposition du festival, celui-ci ne serait pas aussi vibrant sans la soixantaine de bénévoles qui courent les chemins de l’Aubrac pendant ce long weekend de septembre, permettant à plus de 25000 personnes de se créer des souvenirs mémorables. Ambiance amicale, rencontres chaleureuses au cœur d’un paradis naturel pour un festival loin de toute superficialité.

A l’année prochaine !

Kyriakos Kaziras